Le Dernier jour

Le Dernier jour, nouvelle écrite par Poxy

Poxy, ambassadeur de la planète Neptura sur Terre, relate le dernier jour qu'il a passé sur Neptura. Cette nouvelle est intéressante de part les indications qu'elle donne sur la vie et l'histoire des Nepturiens.

Le Dernier jour

Je me réveille doucement. Il est encore tôt : 125 millièmes dans la zone où je me trouve. J'entrouvre les yeux afin de vérifier qu'il fait encore nuit, et les referme aussitôt. Ce geste n'était pas nécessaire. Les pensées des personnes les plus proches m'auraient suffi à savoir ce que je voulais.

Parfaitement détendu et toujours allongé sur le champ anti-gravité, je me mets à l'écoute de Neptura. Beaucoup de gens dorment, et ont le sommeil bercé de beaux rêves. D'autres sont en train de s'amuser. Certains, isolés dans une certaine intimité s'apprêtent ou font déjà l'amour. Toutes ces pensées agréables m'apportent le sourire aux lèvres. Je passe vraiment de bonnes vacances. Et dire qu'il va falloir que je retourne sur Terre ce soir. Qu'en pensent les autres?

Je me mets à l'écoute du cercle des « étrangers ou assimilés », le seul qui me soit accessible. La plupart des personnes du cercle pensent comme moi, mais certains commencent à avoir la nostalgie de leur planète. C'est essentiellement le fait d'être isolé, d'être différent qui les gêne. Je crois que Neptura le sait et ne fait rien contre ça. Elle ne peut pas se permettre d'accepter que des Terriens viennent vivre définitivement ici. Pas encore.

Je ne sais pas alors qu'il s'agit là de mon dernier séjour sur ma planète d'origine avant longtemps. Nous sommes en été 1991 à ce moment-là et Neptura ne m'a plus rappelé depuis. Quand je pense que je suis né ici, et que je suis considéré comme un étranger. C'est vrai, pourtant, que je ne pense pas comme eux. Ma mère a eu beau m'éduquer avec des principes nepturiens, mon père a eu beau accepter la philosophie nepturienne, je n'en ai pas moins trop vécu sur Terre pour être un vrai Nepturien.

Quelqu’un pense à moi. Avant même de reconnaître l’émetteur de cette pensée, mon cœur se met à battre plus fort. J’écoute plus attentivement, bien que je pense avoir reconnu cette façon si agréable de penser à moi. Il s’agit en effet de Ice. Plus jeune que moi de quelques centaines de secondes, elle est née dans une chambre voisine de celle qu’avait ma mère. Ses parents, dont c’était, tout comme pour les miens, le premier enfant, avaient très envie de lui parler. Nous nous sommes donc rencontrés avant même que je connaisse la Terre.

Depuis, nos destins sont liés. Nous nous sommes revu à chaque séjour que j’ai effectué sur Neptura. Nous n’étions au départ que de simple camarade de jeux, mais petit à petit nos sentiments mutuels ont… Comment dire… Mûris.

Ice a vu que j’étais réveillé. Elle vient à ma rencontre. Mon sourire s’élargit. Moi aussi je suis content. J’avais envie de la revoir, de l’embrasser, la caresser… Enfin bref, de lui faire l’amour. Cet acte sur Neptura provoque un plaisir décuplé. Je ne dirai pas que je n’ai plus de plaisir à le pratiquer sur Terre, mais il faut dire que la différence est nette. Ressentir tout le plaisir que je donne, corriger mes positions au fur et à mesure de manière à l’augmenter, sentir les personnes proches en récupérer une partie, tout ceci donne à l’amour une autre dimension.

Ice sait que j’aime beaucoup sortir de nuit dans la nature, surtout lorsqu’elle est avec moi. C’est pourquoi quelques 0,05 jours plus tard, nous sortons de la ville de Magnificia, ensemble, et nous commençons à monter sur la colline de la sortie 1. Arrivé au sommet, je lève instinctivement les yeux afin de chercher la lune, puis me souvient que Neptura ne possède pas de satellite naturel. Je regarde alors les lumières de Magnificia, ma ville natale, la capitale de Neptura. Je suis toujours surpris de la façon dont elles sont atténuées, alors que de l’intérieur de la ville, la lumière naturelle est si bien visible.

Nous nous asseyons dans l’herbe, face à Magnificia. Je me rends compte alors de la présence de l’Amrid. Ce petit appareil nous permet de percevoir les pensées des animaux alentour, de vérifier leur agressivité, et en cas de besoin, de leur transmettre un sentiment qui peut les détourner d’une éventuelle attaque. Ice et moi nous mettons à « écouter » l’Amrid. La plus grande partie des animaux dorment, mais certains sont soit déjà éveillés, soit nocturnes. Ceux-ci ont dans la tête des idées de chasse, mais même ceux qui nous ont vus n’associent pas notre image à celle d’une proie. Sur Neptura, et en particulier autour des grandes villes, les animaux ont l’habitude de voir des humains, sans les craindre mais en les respectant.

De la tristesse. Soudainement refoulée. Elle ne veut pas que je m’en rende compte, mais c’est trop tard. J’ai ressenti cette soudaine pensée au sujet de notre séparation. Dans quelques heures (ça y est, je me mets à penser en heures, comme sur Terre) je vais devoir remonter dans la capsule et rejoindre la Terre.

Cette petite capsule, monoplace ou biplace, doit m’emmener jusqu’à la navette interstellaire au niveau de la base orbitale. Suivront trois heures de voyage pendant lesquelles je traverserai les quelques 650 années-lumières qui séparent le système de Bételgeuse, mon étoile, du système solaire. Puis j’arriverai sur la base locale, à quelques kilomètres au-dessus des anneaux de Saturne. Ensuite, je passerai dans la navette interplanétaire, indétectable par les technologies terriennes. Je naviguerai de nouveaux pendant trois heures pour un trajet pourtant beaucoup plus court, jusqu’à la Terre. À quelques dizaines de milliers de kilomètres de la Terre, je passerai dans une nouvelle capsule invisible pour finalement atterrir dans mon jardin, chez moi, sur Terre.

La tristesse m’envahit à mon tour. J’essaie quand même de la réconforter.

« Ne soit pas triste, je suis encore ici pour presque toute la journée. Et puis, je reviendrai bientôt ! »

« Oui, peut-être. »

Mes derniers mots ont éveillé en elle de drôles de sentiments. En y repensant a posteriori, je crois qu’elle savait que nous ne nous reverrions pas de sitôt. Et les Nepturiens n’aiment pas mentir, même s’il s’agit de simplement cacher quelque chose ! Il faut dire qu’il est assez difficile de mentir lorsque l’on peut inspecter les pensées de tout un chacun…

« Ou peut-être viendra-tu un jour sur Terre ? »

Je m’efforce de sourire. Mais je vois qu’elle pense ne jamais venir.

L’horizon se met à pâlir. De belles teintes pourpres envahissent le ciel tandis que Bételgeuse se lève. J’aime beaucoup les couleurs du ciel de Neptura, même en cours de journée. Eclairée par cette étoile rouge et orangée, il tire plus sur le mauve que le bleu. Souvent, depuis la Terre, je regarde Bételgeuse. En France, elle est visible pendant l’hiver, dans la constellation d’Orion. A chaque fois que je la vois, des images de ma planète me reviennent en mémoire et bien souvent me mettent d’agréable humeur.

Des camarades nous rejoignent. Nous avions décidé de faire un peu de course à pied dans la nature nepturienne. Je suis loin d’être sportif, mais c’est une chose très courante sur cette planète que d’entretenir son corps et sa santé par de nombreuses séances de sport. Et c’est également très courant de sortir des villes pour la plupart des sports ne nécessitant pas de matériel particulier.

Tous se préparent à me saluer. Mais je m’abstiens de répondre avant qu’ils aient formulé leur bonjour par la parole. La langue nepturienne pourrait ne plus exister aujourd’hui si les règles de politesse n’imposaient pas de parler dans certaines circonstances. De plus, la plupart de mes amis nepturiens connaissent le français et ressentent toujours une certaine fierté à me le montrer.

« Bonjour Poxy ! »

Je leur réponds en Nepturien. Le salut est l’un des rares mots que je connaisse dans cette langue. Malgré tout, n’ayant point une prononciation parfaite, je sens leur amusement à m’entendre parler Nepturien. Et immédiatement, je reçois neuf pensées m’envoyant le mot correctement prononcé. Je les remercie tous mentalement pour leur aide.

Un serveur apparaît soudain avec un repas sucré léger. Ce repas est composé d’une pâte cuite évoquant vaguement le pain ou plutôt le croissant. Elle est d’une fraîcheur telle que j’ai rarement eu l’occasion de goûter sur Terre. Pour l’accompagner se trouvent différentes crèmes à base de laits ainsi que des confitures de divers parfums. Mais le plus important est la quantité de liquides présentée sur le plateau. Très peu d’eau, aucun liquide fermenté, mais de nombreux jus de fruits et boissons chaudes. Mon estomac me rappelle alors soudain que je n’ai pas encore mangé aujourd’hui. Nous prenons tous ensemble cette petite collation inspirée des petits déjeuners français.

Nous commençons à courir. Par sécurité, l’Amrid nous suit. Le parcours que nous suivons aujourd’hui est annoncé par Neptura comme faisant 10,517Km et pouvant être parcourut en 3Ks environ, soit 0,028 jours. Celui-ci, sélectionné par Neptura, n’a jamais été emprunté par aucun de nous, mais les images nous sont transmises au fur et à mesure que nous avançons. Il est plutôt chaotique avec quelques pentes qui me font souffler, alors que mes amis avancent tous tranquillement, ralentissant régulièrement pour m’attendre.

Je constate avec surprise que nous arrivons près de l’entrée 1 de Magnificia. J’avais fini par perdre le sens de l’orientation. Je suis complètement épuisé, légèrement moite. Mes amis nepturiens ont bien transpiré, eux aussi. Nous apprécierons tous une bonne douche.

Nous nous dirigeons dans la salle des douches à l’entrée de la ville. Une fois que nous sommes tous à l’intérieur, la porte se referme et le léger ruissellement d’eau chaude se met à couler. Les vêtements semblent soudain absents et sont pourtant bien visibles. L’eau coule encore pendant quelques centaines de secondes, puis s’arrête. Les rayons envoyés en même temps, sans que cela puisse être visible pour nous, ont fait leur travail. Nous voilà propres et odorants. La texture des vêtements a déjà séché et seules quelques traces d’humidité restant encore sur la peau témoignent de ce que l’on vient de faire.

Il est maintenant 330 millièmes, l’heure de prendre le copieux repas du matin. Nous allons dans l’une des salles de rencontre de la ville. Comme toujours, un repas équilibré, composé de viandes en faible quantité, de légumes et fruits divers nous est apporté. Et comme toujours, je mange jusqu’à ne plus sentir mon estomac. Après un tel repas, et aussi à cause de l’heure à laquelle je me suis levé, une petite sieste s’impose.

Je retourne chez moi et m’allonge sur le champ anti-gravité. Le confort est tel que je me sens instantanément gagné par le sommeil. Mais je ne veux pas m’endormir tout de suite. Je veux d’abord repasser les quelques souvenirs que je garderai de ce séjour. Mon esprit vagabond ramène à la surface de ma mémoire la petite fête du « nouvel an » (en fait, du nouveau cycle) nepturien, il y a deux jours.

Les habitants, déjà d’un naturel joyeux, ont commémoré les 638 cycles depuis la Révolution Nepturienne. C’est la première fois que je me trouve sur Neptura pour un changement de cycle. J’ai pu assister à ce que donne une fête planétaire. Ce jour là, des flots de boissons fermentées et autres drogues hallucinogènes ou euphorisantes ont été consommés. Ce n’est pourtant pas une chose courante sur Neptura. Je n’ai pas vu un seul Nepturien qui soit sérieux de toute la journée ! Tout le monde riait, chantait, jouait, dansait, se faisait plaisir. L’état d’esprit était tel que je crois que même si j’étais resté seul dans un coin, je me serai presque autant amusé, rien qu’avec les pensées des autres.

Cela faisait 638 cycles, 63800 jours nepturiens après la Révolution. Mon âge approche de 50 cycles, la majorité sur cette planète. C’est peut-être d’ailleurs pour cela que je ne serais plus appelé à venir y séjourner.

Ice, qui a passé la journée du nouvel an avec moi, m’a appris un peu l’histoire de la planète. L’histoire pré-révolutionnaire est complexe et je n’en ai presque rien retenu. Mais il y a un peu plus de 638 cycles, à une époque qui correspond à l’année 1774 sur Terre, Neptura était encore un ensemble de nations, d’ethnies, de religions multiples et intolérantes. De nombreuses guerres avaient régulièrement lieu, même si déjà un groupement d’intellectuels qui se nommait « Union Nepturienne » cherchait à unifier la planète.

C’est dans ce contexte qu’une équipe de savants de l’une des nations les plus avancée découvre le secret des déplacements supra-luminiques. Quelques mois après, une première navette interstellaire est mise en circulation et découvre par hasard la Terre. La présence d’êtres sur d’autres planètes est donc confirmée.

Par le jeu des puissants services d’espionnages, la navette interstellaire est vite copiée par la plupart des états nepturiens qui commencent alors la conquête de la galaxie. C’est à ce moment-là que le sort de la Terre s’est décidé.

La puissante nation qui a découvert la Terre a déjà atterrit pour étudier la faune et la flore de la planète, mais a dû se remettre en orbite pour des raisons de sécurité. De nombreux états y ont en effet envoyé des navettes, et le vaisseau qui atterrit se met à la merci des autres.

Sur Neptura, la présence de ces autres êtres intelligents est la source de nombreux débats, souvent violents. Certains Nepturiens veulent exploiter les richesses de la Terre, en particulier les hommes, qui pourraient faire de bons esclaves. D’autres pensent au contraire que les quelques trois siècles de retard technologique et social des Terriens par rapport aux Nepturiens ne signifie pas que ces être ne sont pas humains. D’autant plus que trois siècles est un temps bien bref, face aux centaines de millions d’années d’évolution que racontent l’histoire de la vie. C’est en tout cas l’avis de l’Union Nepturienne.

Dans le même temps, les progrès dans le domaine de la communication commencent à être intéressant. Déjà certaines personnes arrivent à se mettrent en communion, c’est à dire qu’ils arrivent à se lire mutuellement leurs pensées. Le matériel utilisé alors est « bridé ». En effet, il est difficile pour un novice de se livrer entièrement, même à un ami ! C’est pour cela qu’il est, encore aujourd’hui, possible d’imposer sa pensée à un Nepturien, mais qu’il est impossible d’avoir accès aux pensées qu’un autre voudrait masquer.

Cette façon de partager ses pensées permet de rapidement trouver un compromis face à toutes sortes de problèmes, en évitant tout malentendu. C’est ainsi que les Nepturiens se rendent vite compte que les idées de l’Union Nepturienne, dont les membres ont très rapidement adopté cette manière de communiquer, sont celles à suivre. Finalement, l’Union, avec son pouvoir grandissant, décide de créer une nouvelle nation et commence la Révolution Nepturienne à une date qui équivaudrait sur Terre au 27 août 1774.

La révolution proprement dite se termine le 3 septembre 1774, lorsque l’Union a pris possession de la presque totalité de la planète. Pendant quelques mois, le nouveau gouvernement étudie la Terre et décide de la politique générale à adopter pour Neptura. Enfin, se sentant prête, l’Union Nepturienne proclame la naissance du Peuple Nepturien le 17 janvier 1775 à 12h23 minutes exactement, heure de Greenwich.

À partir de cette date, Neptura est une planète entièrement unie. Les quelques mois d’étude de la Terre ont permis d’adopter des standards tels que le système MKSA. D’autre part, des Nepturiens seront régulièrement détachés sur Terre afin de faire remonter des informations sur son avancée technologique, et de pousser l’évolution des Terriens dans le même sens que celle de Neptura. C’est ainsi que Talna, ma mère, s’est retrouvée sur Terre en 1973, où elle a rencontré mon père, Terrien. Quelques mois plus tard, je suis né. Terrien de par mon père et parce que la Terre est la planète que j’ai toujours habitée, Nepturien de par ma mère et parce que c’est là bas que je suis né.

Je m’éveille parfaitement reposé et détendu. Il est 0,390. Je repense à Ice. Elle va me manquer. Nous avions prévu, avec mes autres amis nepturiens, de nous retrouver au centre ludo-culturel. Je vois qu’elle s’y trouve déjà. Elle est d’ailleurs contente que je me réveille. Je sens en elle une certaine impatience de me retrouver. Impatience que je partage.

Je me lève rapidement, me plonge la tête dans de l’eau fraîche afin de finir de réveiller mon organisme et je sors. Le centre se trouve de l’autre côté de la ville. Les trottoirs roulant ne suffiront pas à m’y emmener rapidement. Je prends donc un véhicule de transport en commun. Ces véhicules sans roue flottant à quelques millimètres au dessus du sol me font à chaque fois penser au métro. Mais c’est plus parce qu’il faut descendre sous la ville pour les trouver qu’à cause de leur forme. Ces véhicules sont en effet plutôt petits. Ils permettent à environ 10 personnes voyageant dans la même direction de trouver une place assise plutôt confortable.

Une jolie Nepturienne du nom de Acha se trouve assise en face de moi. Elle se rend également au centre ludo-culturel. Constatant que je suis monogame et fidèle, elle émet une légère déception, mais souhaite quand même faire plus ample connaissance avec moi. Je passe ainsi les quelques minutes de trajet à parler français avec elle. Il se trouve qu’elle est fort sympathique (comme la plupart des Nepturiens). Je lui demande alors de se joindre à mes amis et moi-même jusqu’au repas de midi.

Le centre ludo-culturel de Magnificia est gigantesque. Presque tous les Nepturiens des environs viennent y passer plusieurs heures par jour. Il s’agit d’un immense gymnase dans lequel on peut pratiquer toutes sortes de sports. C’est aussi une bibliothèque géante avec des salles de cours où l’on peut venir à plusieurs pour augmenter ses connaissances personnelles. C’est enfin des centaines de salles de jeux ou de simulations.

Comme la plupart des Terriens, c’est tout d’abord ces salles de jeux qui m’attirent. Aujourd’hui, je souhaitais faire une simulation de combat armé individuel. Mon désir « secret » (si un désir pouvait rester secret) était surtout de voir comment les très pacifiques Nepturiens peuvent se sortir d’un jeu pareil.

Le seul jeu de ce type ayant vraiment du succès sur Neptura repose sur un principe qui exploite souffrance et violence au minimum. Chaque point que l’on marque est dû à une personne tuée. Mais les armes utilisées sont soit un genre d’arbalète tirant des fléchettes empoisonnées ou des pièges que l’on peut poser sur le parcours. Ces deux armes provoquent une mort instantanée et sans douleur. Quant aux cadavres, ils disparaissent immédiatement et le joueur mort « ressuscite » dans un autre lieu pour continuer la partie.

Je sais qu’il existe d’autres jeux beaucoup plus élaborés, très réalistes. On y possède toutes sortes d’armements et l’on peut blesser les adversaires. On ressent de façon légèrement atténuée toute douleur ou amputation. Les cadavres ou les morceaux de membres restent et pourrissent sur place. Mais ce type de jeu choque les Nepturiens et n’est que très peu pratiqué.

Nous nous dirigeons vers une salle sombre, possédant des champs anti-gravités dans lesquelles nous nous allongeons. Notre pensée est alors contrôlée afin de donner la totale illusion que nous nous trouvons dans un autre monde. Je découvre ainsi une zone légèrement boueuse, dans une forêt peu dense. Je commence à partir en petite foulée, le plus discrètement possible. Au détour d’un arbre, j’aperçois Acha qui marche lentement, l’œil aux aguets. Elle ne m’a pas vu. J’ajuste mon tir, la rate de quelques millimètres. Elle se retourne brusquement et pointe son arme vers moi. Plus rapide, j’ai déjà réarmé et je marque mon premier point.

La forme physique de mes amis m’a quand même donné du fil à retordre. Sans cesse en mouvement, j’ai souvent eu du mal à les toucher. Je pense également qu’ils doivent pratiquer ce jeu assez régulièrement. C’est pourquoi, lorsque arrive l’heure du repas de midi, je n’ai qu’une très petite avance sur le meilleur d’entre eux.

Il est presque 0,500. Pour le dernier repas avant mon départ, Ilsamin, l’un de mes amis Nepturiens les plus anciens, nous a tous invités chez lui. Même Acha, qui n’avait rien prévu pour le reste de la journée, nous fait l’honneur de venir. Ilsamin lui plait beaucoup et elle lui plait également.

Pour l’occasion, Ilsamin avait prévu un grand appartement avec, dans sa salle principale, des tables disposées en cercle, comme pour un banquet d’Astérix le Gaulois. À ma grande surprise, le repas, typiquement nepturien, est composé d’une légère salade suivie de mon plat préféré : du Maougal. Il s’agit de viande de volaille grillée, napée généreusement de fromage fondu et accompagnée de divers fruits et légumes.

Tout en mangeant, Ilsamin nous fait diffuser de la musique nepturienne. Composée de sons parfois inconnus sur Terre et de chants, elle est très belle et apaisante. L’une d’elles, au rythme lent, semble pouvoir se danser comme un slow. Je me lève et emmène Ice au centre du cercle pour danser avec elle. Ilsamin et Acha, amusés par mon comportement, font de même, bientôt imités par deux autres couples qui étaient avec nous.

Au bout d’un certain temps, je constate la disparition d’Acha et Ilsamin. Ils sont partis s’isoler dans une chambre et font l’amour. Ilsamin y serait bien allé avec une deuxième compagne, mais pour leur première relation, Acha préférait être seule avec lui. L’heure du départ approchant, je ressens moi aussi l’envie de me perdre une dernière fois dans le corps de Ice. Du fond de sa pensée, Ilsamin me propose de prendre l’une des chambres de l’appartement.

Remerciant mentalement et rapidement tous mes amis, j’emmène Ice dans la chambre. Enfin seuls, nous nous prouvons à nouveau notre affection réciproque. Pendant un long moment, nos lèvres refusent de se séparer.

La pudeur sur Neptura est vue d’une façon bien particulière. Tous les faits et gestes de chacun peuvent être perçus par tous. Pourtant, il est très rare, quelles que soient les mœurs des gens, d’échanger des signes sexuels ou même simplement affectifs en public, excepté quelques brefs et discrets baisers. De même, exhiber certaines parties de son corps en dehors d’un lieu privé ne se fait pas.

Après un long débat amoureux et un peu de repos, nous allons entièrement nus dans la petite cabine de douche attenante à la chambre. A peine y entrons-nous qu’une fine pluie parfumée, sortant aussi bien du plafond que des murs, nous inonde. La vision de Ice en train de se frotter (se caresser ?) m’excite à nouveau. Je ne suis visiblement pas rassasié. Ice s’en rend compte et, avec un grand sourire, s’approche de moi et m’enlace pour une autre partie de plaisir.

Il est 0,701 lorsque nous sortons de la chambre. Grâce à l’imposant repas de midi, je n’ai pas encore très faim. La capsule doit décoller dans quelques instants. Nous partons au spaciodrome où tous les Nepturiens que je connais se sont rassemblés pour me souhaiter un bon retour. Je suis vraiment triste de partir. Tous sont également émus. Au moment où je monte dans la capsule, Ice laisse même s’échapper une ou deux larmes. Mais il faut que j’y aille. Si l’on ne me trouve pas sur Terre demain, certaines personnes vont me poser des questions auxquelles je ne pourrais pas répondre.

J’ai à peine le temps de me remémorer tous les bons souvenirs de ce séjour pendant le voyage. Je repense en particulier à toutes ces parties de rigolade que nous avons eu tous ensemble ou à cette nuit où nous avons été camper et où nous avons rencontré des Naturels, ces Nepturiens refusant le modernisme et vivant au contact permanent de la nature. Mais déjà me voilà sur Terre.

Ce n’est que quelques mois plus tard que je reçois le message. Nous sommes en décembre 1991 et il est 00h30. La nuit est tombée depuis longtemps déjà, froide mais belle. Je suis à une fenêtre, chez moi, et je regarde Bételgeuse. Je pense à Ice et à Neptura.

Je crois tout d’abord que ce sont ces pensées qui me font rêver d’elle. Mais non, elle est bien en train de me transmettre un message. Depuis mon départ de Neptura où j’avais dû laisser mon amplificateur d’onde cérébrale, j’avais perdu l’habitude de recevoir des messages directement par la pensée. Mais je savais que Neptura possède de puissants émetteurs en orbite autour de la Terre. Ceux-ci permettent aux Nepturiens de faire passer des messages sur Terre et, dans une moindre mesure, d’en recevoir.

Les Nepturiens sur Terre vivent dans l’anonymat. On leur a appris à ne jamais révéler leurs véritables identité et origine. Pourtant, le message que je reçois alors de Ice m’indique une toute autre démarche. Étant le Nepturien le mieux adapté à la Terre (il y a de quoi !), Neptura me charge aujourd’hui de devenir son représentant officiel. Mon objectif sera désormais de présenter ma planète aux Terriens dans le but de les préparer à une éventuelle rencontre. Je devrai présenter et représenter la moralité nepturienne sur Terre. C’est ainsi que ce document, écrit quelques années plus tard, marque le début de ma carrière d’ambassadeur de la planète Neptura.